mercredi 17 mars 2010

Les naufragés du bitume...

Charlie Cuicui, la féroce agapornis, avait préféré rester à la maison. Cette ombrageuse oiselle, Inséparable solitaire et vindicative, sinon désespérée, possède un tropisme territorial particulièrement développé, qui la rend perméable au discours sécuritaire de la Droite : Elle avait donc décidé de garder sa cage, la maison et ma mère, et les intrus n'avaient qu'à bien se tenir !...

Bart, toujours partant pour une balade, avait sauté sur la banquette arrière de la 19, qu'il avait trouvée, non sans plaisir, vide de tout le merdier qui y était habituellement entassé, merdier qui gisait à peu près aligné, dans des cartons de tailles variables, au pignon de la maison en attendant que je lui assigne une nouvelle affectation. Profitant de la fenêtre entrouverte pour aérer sa barbiche, il dessinait sur le carreau des arabesque de sa truffe humide et se tenait assis bien droit après avoir refusé de passer une ceinture de sécurité.

Quant à moi, qui suis le valet tout autant que le protecteur de toute cette ménagerie _ mère comprise_ j'étais au volant, et priais le ciel pour que l'embrayage veuille bien tenir jusqu'à Quimper, où je n'avais pas mis les pieds depuis au moins trois mois...

La raison de cette expédition ? Nous allions accueillir un nouveau membre de la famiglia : Sandy, qu'il fallait aller chercher au garage Renault de Quimper. Sandy Dacia, une belle roumaine rouquine, rustique, et un peu enveloppée : Oui, nous allions prendre livraison de ma nouvelle voiture !...

Sentant la proximité de l'abattoir, Caroline, ma vieille R19 au toit couvert de lichen, et qui laissait voir ses longerons par les trous rouillés de sa carrosserie, renâclait, montant en régime quelles que soient les vitesses passées, et commença à sérieusement sentir le brûlé dès Pont-l'Abbé. Pour lui donner le change, j'avais mis France Musique, espérant qu'elle croirait que je l'utilisais à nouveau pour une tournée de portage, après l'avoir laissée seule s'empoussiérer pendant deux mois entiers devant la maison.

Ce fut, vous vous en doutez, surtout si vous avez déjà aimé et conduit une voiture un peu émancipée, peine perdue... Les embrayages exsangues n'aiment pas les côtes et les faux plats, et Caroline, fumant à fendre l'âme, refusa quant à elle de repasser ces derniers... Ce fut un peu avant la sortie de Pluguffan, près d'un lieu appelé non sans ironie L'Avantage, que nous dûmes nous arrêter, et regarder avec envie mais également un peu effrayés, passer en hurlant la meute rutilante des automobiles, nous qui ne l'étions plus guère...

Il est terrible, dans ces moments là, le petit bip du portable fatigué, qui vous signale sur son écran vacillant : "batterie faible" ! Il est terrible, car on se demande si on va pouvoir appeler le garage pour prévenir d'un léger retard indépendant de notre volonté, et si on va pouvoir donner toutes les informations utiles au dépanneur pour qu'il puisse nous trouver sur la Transbigoudène, et si on va pouvoir négocier avec le service d'assistance la prise en charge de ce dernier, de cet ultime avatar d'une voiture qui en a déjà trop subi...

Eh bien oui ! Considérant qu'il avait assez rigolé comme ça ce jour là, Dieu a permis que je passe ces trois coups de fil avant que l'écran ne s'éteigne, et que le dernier médium nous reliant au monde civilisé ne se taise à jamais, (ou du moins jusqu'à ce qu'on le recharge, ce qui fut fait, rassurez vous, pas plus tard qu'hier soir) alors que le flot grondant des automobiles cornouaillaises s'enhardissait à nous frôler, tous chromes dehors ...

(En fait, ça ne s'est pas exactement passé comme ça, et heureusement, le dépanneur était sympa, et a négocié avec son portable les différents temps d'attente du service d'assistance, ce dernier surpris de me voir encore au volant de ma vieille voiture alors qu'était déjà enregistré la nouvelle...)

C'est donc juchés sur le plateau de remorquage que nous fîmes une entrée triomphale au garage, et ce n'est pas sans émotion, devant une haie de mécanos, que je fis mes adieux à Caroline, qui a bien mérité du Paradis des berlines... Oui, affublée du triste nom de "reprise", elle qui n'en manquait pourtant pas en ses jeunes années, Caroline allait mourir là, dépouillée de toutes ses garnitures, Caroline était déjà morte ...

Mais nous, ça allait, merci, et on allait pas se laisser abattre, surtout Bart, qui s'était jusqu'alors montré très digne, et qui commençait à trouver le temps long... C'est ce qu'il entreprit de démontrer à un vendeur un peu téméraire, en le débarbouillant consciencieusement, et à quelques assistantes commerciales qui le trouvaient mignon, en allant leur renifler le giron....

Une fois les ultimes paperasseries achevées, on nous confia à un "metteur en route" chevronné, qui s'assura par ses conseils avisés que nous n'irions pas nous emplafonner à proximité du garage _ ça fait désordre ! Il nous indiqua en effet à quoi servait les différents bitonniaux du tableau de bord et où se rangeaient les divers inpedimentae de notre splendide bolide. Il me régla aussi, car il avait bien vu que j'étais vaguement technopathe, la radio futuriste, et me rassura sur l'absence de roue de secours _ son logement étant occupé par le réservoir de GPL_ en affirmant que la bombe anti-crevaison offerte palliait largement ce manque... je reste dubitatif, ce qui n'a rien à voir avec une éjaculation précoce, même en maniant mon lave glace...

C'est donc pourvu de tous les sacrements que nous nous élançâmes sur la route de Penhars, où je revis avec plaisir l'église et son clocher, la médiathèque et les grands ensembles HLM, avant de fondre sur le giratoire de Ludugris et d'enjamber l'Odet, pour aller consulter à Quimper-Corentin telle une cartomancienne, un cabinet d'experts en assurances, ma compagnie ayant jugé bon de me résilier au 1er avril, (Quelle bonne blague !) considérant que mon coefficient d'accidentologie était trop élevé... On croit rêver !... Il n'y a que des bras cassés dans mon entourage : des banquiers qui ne veulent rien prêter, des assureurs qui ne veulent rien assurer, des employeurs qui n'ont rien pour moi... c'est tout bonnement incroyable comme la France va mal depuis que le président-sarcome est au pouvoir !...

Heureux d'apprendre que la couverture tous-risques de Sandy ne me coûterait que la modique somme de 150€ environ par mois _ une paille ! c'est un peu déconfits que nous prîmes le chemin du retour, illuminés par les feux du soleil couchant : " I'm a poor lonesome carboy, and so far from home... "

Est-ce ainsi que se termine l'histoire ? Non, pas tout à fait : nous avons fait une halte à Pont-l'Abbé, pour quelques achats dont nous vous parlerons dans un prochain épisode !

( to be continued ...)